samedi 20 avril 2013

Mâche de Nantes, délicieusement tendance...

La mâche, une petite salade bien sympathique qui se niche au creux de nos assiettes lorsque le printemps tarde à arracher par pans entiers les dernières grisailles de l’hiver comme un vieux papier peint passé de mode. Vite faite, bien faite, toujours croquante et verdoyante, la mâche est furieusement tendance à une époque où le naturel est sur toutes les lèvres, à défaut d’être toujours à la pointe de notre fourchette. Départ immédiat vers Nantes, patrie de Jules Verne, de Jacques Demy et de la Folle Journée qui chaque année rassemble toujours plus de mélomanes, des petits beurres LU, du muguet de mai et de la mâche, of course.


Fruits et légumes frais en France : 117 000 entreprises, 653 000 salariés

Après un petit muscadet sur le zinc lustré d’un bistro à la santé de notre Premier ministre, il faut quitter Nantes et gagner la proche campagne, là où la pluie des flaques fait floc floc dans les pompes et où les bas de jeans se mettent en tenue de camouflage façon argile sablonneuse. A quelques kilomètres, s’étalent des cultures maraîchères de toutes sortes car bien sûr on ne fait pas ici, en pays nantais, que de la mâche loin s’en faut. Aussi avant d’aller plus loin, quelques points de repères sur ce que représente la filière fruits et légumes frais dans notre pays. Attention, c’est bien plus vaste qu’il n’y paraît et on peut être heureux de constater combien notre pays a encore cette forte identité paysanne avec ses deux pieds bien plantés comme une  botte de poireaux et le pif pointé dans la direction du vent qui vous décoiffe. Les fruits et légumes frais en France, c’est d’abord 117 000 entreprises employant 653 000 salariés dont 455 000 saisonniers. C’est déjà une première raison pour laquelle nos chères têtes blondes mais surtout leurs parents devraient se pencher sur l’utilité de faire le meilleur usage de ce que la nature nous réserve car pour remplir nos assiettes de santé et de saveur, il y a tout de même pas mal de gens qui se lèvent tous les matins de très bonne heure.  

Et puis, un champ de belles pommes de terre, de radis croquants, de généreux choux fleurs à perte de vue, ces planches de mâches verdoyantes alignées l’une contre l’autre, c’est quand même autre chose qu’un paradis fiscal. Finalement, les tropiques, c’est comme les établissements bancaires, ça reste toujours un peu déprimant. Rien de tout ça en pays nantais, la pluie vous fait repousser les cheveux et la terre est  basse.

Au niveau de la consommation (hors pommes de terre), et selon les chiffres de 2011, 13,08 milliards d’euros de chiffres d’affaires pour une production de quelques 10 300 000 tonnes de fruits et légumes, soit environ le poids d’un peu plus d’un millier de Tour Eiffel… ou si vous le préférez le poids total de 25750 rames de TGV bien pesées. Quelques chiffres encore : 42 000 exploitations fruitières, 38 200 exploitations légumières, 200 coopératives, 1250 grossistes, 14 600 primeurs et plus de 300 entreprises d’expédition et d’exportation. Voila pour les chiffres qui montrent s’il en était encore besoin toute l’importance de ce secteur économique majeur pour la France. Alors, même si notre pays n’est pas le premier pays producteur de fruits et légumes en Europe, la part qu’il réserve à l’exportation est plus que significative et impose des règles toujours plus précises, qualité du produit mais aussi traçabilité sur un marché sans cesse plus tendu et exigeant.

La mâche en pays nantais, quelques mots sur son histoire

Pendant très longtemps, la mâche est restée sauvage. Les paysans la cueillaient en bordure des champs de blé et d’orge, c’était la petite salade des champs et des près comme la désignait Ronsart. Passons du XVI° siècle au Second Empire lorsqu’un restaurateur parisien crée non pas la tranche napolitaine mais la salade Victor-Emmanuel composée de mâche, de céleri rave et de betterave rouge, voici donc les trois couleurs du drapeau italien tandis que l’orchestre attaque magistralement La forza del destino. Que c’est beau…  Dans l’assiette aussi, ça fait son petit effet moins symphonique certes. Plus vert que Verdien. On ne parle pas encore de Fraich’Attitude mais cela ne saurait tarder… 

La région nantaise est aujourd’hui le premier producteur européen de mâche devant l’Allemagne et l’Italie. A elle seule, la région produit 85% de la mâche française et exporte plus de 45% de sa production notamment vers le Royaume-Uni, l’Espagne, le Benelux, l’Allemagne, l’Italie et d’autres destination plus lointaines comme les pays du nord de l’Europe ou encore la Russie, etc. Curieusement ce n’est pas la région de production qui consomme le plus de mâche, nul n’est prophète en son pays, elle est davantage appréciée en Ile de France, dans le Nord-Pas de Calais ou encore le Lyonnais.

La mâche est un produit ancien mais qui est longtemps resté en retrait comme si elle ne se sentait pas en mesure d’occuper le haut du panier. A cette époque où la France ne possédait qu’une chaine de télévision, en noir et blanc et où les seules émissions de téléréalité se déroulaient en Indochine, il fallait acheter la mâche en vrac au marché et la préparer soigneusement et longuement, la rincer pour éliminer le sable et la débarrasser des feuilles jaunes, abimées. C’était du boulot d’autant plus que le réfrigérateur était à peu près aussi courant que le 220 volts chez nos papi-mamie alors il y avait bien la cave ou le garde-manger et son élégant grillage anti-moustiques mais au terme de trois jours d’oubli, la mâche fraîche avait cesse de l’être et ne ressemblait plus qu’à une vague infusion de verveine menthe desséchée au fond d’une tasse. On pouvait toujours essayer de se la fumer roulée en pétard mais sans obtenir l’effet souhaité.

Mais ça, comme dirait l’autre, c’était avant... Aujourd’hui la mâche est un produit extra frais. Livrée en barquette, elle est prête à l’emploi. Un seul rinçage sous l’eau claire et elle tombe amoureusement dans votre assiette prête à vous faire le grand jeu. Les recettes ne manquent pas et elles aussi sont très actuelles : Carpaccio de St-Jacques et son lit de mâche nantaise. Dix minutes, le jus d’un citron, échalote, ciboulette et un filet d’huile d’olive ou encore Mousseline de mâche au sabayon léger et copeaux de parmesan… Vous m’en direz tant, Bertrand.

La mâche : du grain de sable à la barquette

Si jadis la ménagère devait rincer la mâche longuement pour la débarrasser notamment du sable, des cotylédons et des fragments de racines, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Pourtant dans les grandes lignes, peu de choses semblent avoir changé dans les modes de culture de la mâche. Elle pousse toujours sur un lit de sable rigoureusement rectiligne que l’on appelle : la planche. Largeur d’environ 1,20 m sur une longueur variable de plusieurs dizaines de mètres.  

 La culture se pratique selon deux modes : en mini-tunnels d’un peu moins de la largeur de la planche sur environ 20 à 30 cm de hauteur. Le tunnel est constitué d’un film plastique qui sera recyclé après usage. Dans le passé, le sable utilisé était un sable de Loire. Aujourd’hui, il s’agit toujours d’un sable à grain moyen – un peu comme de la semoule –. Plusieurs avantages à ce mode de culture, un plan aéré, une température protégée pour le plan et enfin un façonnage qui va faciliter la coupe ultérieure.  La récolte est opérée par un premier tracteur qui découvre les plants et rembobine le plastique des tunnels. Un second tracteur opère une coupe précise et collecte la mâche dans un palox d’environ un mètre cube. A l’arrière du tracteur, face au palox, un ouvrier supervise le bon déroulement de la récolte et élimine les corps étrangers qui pourraient être ramassés, brindilles, feuilles mortes, etc. En général, le traitement de la mâche jusqu’à son conditionnement final se déroulera le jour même. 

Un autre mode de culture tend à prendre plus d’importance : la culture en multichapelles qui offre un plus grand confort de travail pour le personnel et l’assurance d’un meilleur rendement. Ici les installations sont durables, moins sensibles aux intempéries, pourvues d’un système d’arrosage intégré. En été, on peut également atténuer l’éclairement de ces serres. Là encore, on utilise le film plastique évidemment plus résistant et dont la durée de vie sera d’environ 5 ans. Bien sûr l’investissement est beaucoup plus lourd. 

Direction ensuite, l’unité de conditionnement. Qu’il s’agisse des importantes installations du Groupe Marais implantées à Les Sorinières, expéditeur depuis 1907 et qui possède sa propre flotte de transport ou de la Société Robert d’une taille plus modeste située à Saint-Julien de Concelles toujours en Loire Atlantique, les traitements varient peu. 

La mâche est un produit naturel fragile et délicat dont il faut assurer au consommateur l’extrême fraicheur. Elle se range dans les aliments de la Première et Quatrième gamme. La  1ère Gamme correspond aux produits frais pour lesquels aucun traitement de conservation particulier n’est utilisé (fruits et légumes entiers frais, viandes et poissons non transformés...) et la  4e gamme concerne les fruits et légumes frais prêts à l’emploi (lavés, épluchés, égouttés, coupés et conservés dans une atmosphère sans air) ; la conservation est assurée entre 0 et 4°C. Pour obtenir une qualité optimale, la traçabilité est incontournable, des contrôles sont effectués, les lots sont identifiés. Les palox sont vidés dans une première unité de « bouillonnement » à eau froide, bien sûr, la mâche se trouve alors débarrassée du sable résiduel par gravité.

Tout au long de l’unité de traitement, elle sera rincée, examinée sur plusieurs tapis, tout corps étranger sera éliminé mécaniquement ou manuellement. Enfin égouttée sur des tapis vibrants, la mâche est dirigée vers les unités automatisées de conditionnement. La mâche est pesée et tombe précisément dans les barquettes qui sont filmées et portent toutes les indications permettant une traçabilité complète. C’est une véritable carte d’identité du produit. Dans ces grandes unités de production, charlotte obligatoire, tenue en plastique, lavage des mains, rinçage des chaussures dans des bacs humides, visites des chambres froides dont certaines sont dotées de puissants brumisateurs. Au bout de trois minutes, on en ressort plus frais que nature mais trempé. Quant aux palox vidés de leur contenu, ils passent à la douche sous pression avant toute  nouvelle utilisation. 

Voici très rapidement résumé le parcours de la mâche qui dans le pays de Nantes et de ses environs n’attend plus que votre bon plaisir. Son autre nom est la « doucette ». Outre son goût unique, la mâche contient trois fois plus de vitamine C que la laitue, sans oublier les oligo-éléments et les sels minéraux avec le fer (2 fois plus quand dans la carotte), le sodium et le potassium. Enfin, cinq fois plus de bêta-carotène que dans les abricots. Il est facile de choisir de la mâche, les bouquets doivent être bien constitués et non fripés, les feuilles doivent être douces, d’un beau vert mat à l’aspect velouté. Dans sa barquette ou son sachet d’origine, la mâche se conserve trois à quatre jours dans le bas du réfrigérateur. Ce conseil de bon sens est valable pour de nombreuses denrées fraiches qu’il ne faut pas stocker au-delà du raisonnable dans un réfrigérateur. Un produit frais doit toujours être consommé rapidement. Et ce n’est pas parce qu’il est froid qu’il reste frais. Notez encore que le froid dénature les qualités gustatives de la plupart des denrées que nous consommons.

Gérard Conreur

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