samedi 20 avril 2013

Mâche de Nantes, délicieusement tendance...

La mâche, une petite salade bien sympathique qui se niche au creux de nos assiettes lorsque le printemps tarde à arracher par pans entiers les dernières grisailles de l’hiver comme un vieux papier peint passé de mode. Vite faite, bien faite, toujours croquante et verdoyante, la mâche est furieusement tendance à une époque où le naturel est sur toutes les lèvres, à défaut d’être toujours à la pointe de notre fourchette. Départ immédiat vers Nantes, patrie de Jules Verne, de Jacques Demy et de la Folle Journée qui chaque année rassemble toujours plus de mélomanes, des petits beurres LU, du muguet de mai et de la mâche, of course.


Fruits et légumes frais en France : 117 000 entreprises, 653 000 salariés

Après un petit muscadet sur le zinc lustré d’un bistro à la santé de notre Premier ministre, il faut quitter Nantes et gagner la proche campagne, là où la pluie des flaques fait floc floc dans les pompes et où les bas de jeans se mettent en tenue de camouflage façon argile sablonneuse. A quelques kilomètres, s’étalent des cultures maraîchères de toutes sortes car bien sûr on ne fait pas ici, en pays nantais, que de la mâche loin s’en faut. Aussi avant d’aller plus loin, quelques points de repères sur ce que représente la filière fruits et légumes frais dans notre pays. Attention, c’est bien plus vaste qu’il n’y paraît et on peut être heureux de constater combien notre pays a encore cette forte identité paysanne avec ses deux pieds bien plantés comme une  botte de poireaux et le pif pointé dans la direction du vent qui vous décoiffe. Les fruits et légumes frais en France, c’est d’abord 117 000 entreprises employant 653 000 salariés dont 455 000 saisonniers. C’est déjà une première raison pour laquelle nos chères têtes blondes mais surtout leurs parents devraient se pencher sur l’utilité de faire le meilleur usage de ce que la nature nous réserve car pour remplir nos assiettes de santé et de saveur, il y a tout de même pas mal de gens qui se lèvent tous les matins de très bonne heure.  

Et puis, un champ de belles pommes de terre, de radis croquants, de généreux choux fleurs à perte de vue, ces planches de mâches verdoyantes alignées l’une contre l’autre, c’est quand même autre chose qu’un paradis fiscal. Finalement, les tropiques, c’est comme les établissements bancaires, ça reste toujours un peu déprimant. Rien de tout ça en pays nantais, la pluie vous fait repousser les cheveux et la terre est  basse.

Au niveau de la consommation (hors pommes de terre), et selon les chiffres de 2011, 13,08 milliards d’euros de chiffres d’affaires pour une production de quelques 10 300 000 tonnes de fruits et légumes, soit environ le poids d’un peu plus d’un millier de Tour Eiffel… ou si vous le préférez le poids total de 25750 rames de TGV bien pesées. Quelques chiffres encore : 42 000 exploitations fruitières, 38 200 exploitations légumières, 200 coopératives, 1250 grossistes, 14 600 primeurs et plus de 300 entreprises d’expédition et d’exportation. Voila pour les chiffres qui montrent s’il en était encore besoin toute l’importance de ce secteur économique majeur pour la France. Alors, même si notre pays n’est pas le premier pays producteur de fruits et légumes en Europe, la part qu’il réserve à l’exportation est plus que significative et impose des règles toujours plus précises, qualité du produit mais aussi traçabilité sur un marché sans cesse plus tendu et exigeant.

La mâche en pays nantais, quelques mots sur son histoire

Pendant très longtemps, la mâche est restée sauvage. Les paysans la cueillaient en bordure des champs de blé et d’orge, c’était la petite salade des champs et des près comme la désignait Ronsart. Passons du XVI° siècle au Second Empire lorsqu’un restaurateur parisien crée non pas la tranche napolitaine mais la salade Victor-Emmanuel composée de mâche, de céleri rave et de betterave rouge, voici donc les trois couleurs du drapeau italien tandis que l’orchestre attaque magistralement La forza del destino. Que c’est beau…  Dans l’assiette aussi, ça fait son petit effet moins symphonique certes. Plus vert que Verdien. On ne parle pas encore de Fraich’Attitude mais cela ne saurait tarder… 

La région nantaise est aujourd’hui le premier producteur européen de mâche devant l’Allemagne et l’Italie. A elle seule, la région produit 85% de la mâche française et exporte plus de 45% de sa production notamment vers le Royaume-Uni, l’Espagne, le Benelux, l’Allemagne, l’Italie et d’autres destination plus lointaines comme les pays du nord de l’Europe ou encore la Russie, etc. Curieusement ce n’est pas la région de production qui consomme le plus de mâche, nul n’est prophète en son pays, elle est davantage appréciée en Ile de France, dans le Nord-Pas de Calais ou encore le Lyonnais.

La mâche est un produit ancien mais qui est longtemps resté en retrait comme si elle ne se sentait pas en mesure d’occuper le haut du panier. A cette époque où la France ne possédait qu’une chaine de télévision, en noir et blanc et où les seules émissions de téléréalité se déroulaient en Indochine, il fallait acheter la mâche en vrac au marché et la préparer soigneusement et longuement, la rincer pour éliminer le sable et la débarrasser des feuilles jaunes, abimées. C’était du boulot d’autant plus que le réfrigérateur était à peu près aussi courant que le 220 volts chez nos papi-mamie alors il y avait bien la cave ou le garde-manger et son élégant grillage anti-moustiques mais au terme de trois jours d’oubli, la mâche fraîche avait cesse de l’être et ne ressemblait plus qu’à une vague infusion de verveine menthe desséchée au fond d’une tasse. On pouvait toujours essayer de se la fumer roulée en pétard mais sans obtenir l’effet souhaité.

Mais ça, comme dirait l’autre, c’était avant... Aujourd’hui la mâche est un produit extra frais. Livrée en barquette, elle est prête à l’emploi. Un seul rinçage sous l’eau claire et elle tombe amoureusement dans votre assiette prête à vous faire le grand jeu. Les recettes ne manquent pas et elles aussi sont très actuelles : Carpaccio de St-Jacques et son lit de mâche nantaise. Dix minutes, le jus d’un citron, échalote, ciboulette et un filet d’huile d’olive ou encore Mousseline de mâche au sabayon léger et copeaux de parmesan… Vous m’en direz tant, Bertrand.

La mâche : du grain de sable à la barquette

Si jadis la ménagère devait rincer la mâche longuement pour la débarrasser notamment du sable, des cotylédons et des fragments de racines, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Pourtant dans les grandes lignes, peu de choses semblent avoir changé dans les modes de culture de la mâche. Elle pousse toujours sur un lit de sable rigoureusement rectiligne que l’on appelle : la planche. Largeur d’environ 1,20 m sur une longueur variable de plusieurs dizaines de mètres.  

 La culture se pratique selon deux modes : en mini-tunnels d’un peu moins de la largeur de la planche sur environ 20 à 30 cm de hauteur. Le tunnel est constitué d’un film plastique qui sera recyclé après usage. Dans le passé, le sable utilisé était un sable de Loire. Aujourd’hui, il s’agit toujours d’un sable à grain moyen – un peu comme de la semoule –. Plusieurs avantages à ce mode de culture, un plan aéré, une température protégée pour le plan et enfin un façonnage qui va faciliter la coupe ultérieure.  La récolte est opérée par un premier tracteur qui découvre les plants et rembobine le plastique des tunnels. Un second tracteur opère une coupe précise et collecte la mâche dans un palox d’environ un mètre cube. A l’arrière du tracteur, face au palox, un ouvrier supervise le bon déroulement de la récolte et élimine les corps étrangers qui pourraient être ramassés, brindilles, feuilles mortes, etc. En général, le traitement de la mâche jusqu’à son conditionnement final se déroulera le jour même. 

Un autre mode de culture tend à prendre plus d’importance : la culture en multichapelles qui offre un plus grand confort de travail pour le personnel et l’assurance d’un meilleur rendement. Ici les installations sont durables, moins sensibles aux intempéries, pourvues d’un système d’arrosage intégré. En été, on peut également atténuer l’éclairement de ces serres. Là encore, on utilise le film plastique évidemment plus résistant et dont la durée de vie sera d’environ 5 ans. Bien sûr l’investissement est beaucoup plus lourd. 

Direction ensuite, l’unité de conditionnement. Qu’il s’agisse des importantes installations du Groupe Marais implantées à Les Sorinières, expéditeur depuis 1907 et qui possède sa propre flotte de transport ou de la Société Robert d’une taille plus modeste située à Saint-Julien de Concelles toujours en Loire Atlantique, les traitements varient peu. 

La mâche est un produit naturel fragile et délicat dont il faut assurer au consommateur l’extrême fraicheur. Elle se range dans les aliments de la Première et Quatrième gamme. La  1ère Gamme correspond aux produits frais pour lesquels aucun traitement de conservation particulier n’est utilisé (fruits et légumes entiers frais, viandes et poissons non transformés...) et la  4e gamme concerne les fruits et légumes frais prêts à l’emploi (lavés, épluchés, égouttés, coupés et conservés dans une atmosphère sans air) ; la conservation est assurée entre 0 et 4°C. Pour obtenir une qualité optimale, la traçabilité est incontournable, des contrôles sont effectués, les lots sont identifiés. Les palox sont vidés dans une première unité de « bouillonnement » à eau froide, bien sûr, la mâche se trouve alors débarrassée du sable résiduel par gravité.

Tout au long de l’unité de traitement, elle sera rincée, examinée sur plusieurs tapis, tout corps étranger sera éliminé mécaniquement ou manuellement. Enfin égouttée sur des tapis vibrants, la mâche est dirigée vers les unités automatisées de conditionnement. La mâche est pesée et tombe précisément dans les barquettes qui sont filmées et portent toutes les indications permettant une traçabilité complète. C’est une véritable carte d’identité du produit. Dans ces grandes unités de production, charlotte obligatoire, tenue en plastique, lavage des mains, rinçage des chaussures dans des bacs humides, visites des chambres froides dont certaines sont dotées de puissants brumisateurs. Au bout de trois minutes, on en ressort plus frais que nature mais trempé. Quant aux palox vidés de leur contenu, ils passent à la douche sous pression avant toute  nouvelle utilisation. 

Voici très rapidement résumé le parcours de la mâche qui dans le pays de Nantes et de ses environs n’attend plus que votre bon plaisir. Son autre nom est la « doucette ». Outre son goût unique, la mâche contient trois fois plus de vitamine C que la laitue, sans oublier les oligo-éléments et les sels minéraux avec le fer (2 fois plus quand dans la carotte), le sodium et le potassium. Enfin, cinq fois plus de bêta-carotène que dans les abricots. Il est facile de choisir de la mâche, les bouquets doivent être bien constitués et non fripés, les feuilles doivent être douces, d’un beau vert mat à l’aspect velouté. Dans sa barquette ou son sachet d’origine, la mâche se conserve trois à quatre jours dans le bas du réfrigérateur. Ce conseil de bon sens est valable pour de nombreuses denrées fraiches qu’il ne faut pas stocker au-delà du raisonnable dans un réfrigérateur. Un produit frais doit toujours être consommé rapidement. Et ce n’est pas parce qu’il est froid qu’il reste frais. Notez encore que le froid dénature les qualités gustatives de la plupart des denrées que nous consommons.

Gérard Conreur

jeudi 4 avril 2013

Leuven, The place to be(er)

« La bière donne du relief à notre plat pays »  C’était le slogan d’une pub pour la Stella Artois, il y a quelques années... Avis aux amateurs : le dernier weekend d’avril , les 27 et 28, se tiendra à Leuven le Zythos Bier Festival. Une occasion unique de découvrir et de déguster l’une ou l’autre des 500 bières différentes amoureusement élaborées par quelque 100 brasseurs. C’est, à n’en pas douter, la manifestation européenne la plus importante consacrée exclusivement à la bière. On y vient du monde entier. Mais avant d’aller plus loin et de réserver votre weekend, décryptage car le sujet n’est pas si frivole et nécessite quelques précisions qui pourraient bien remettre certaines pendules à l’heure…
Cuve de brassage dans la brasserie historique Stella Artois

De quoi s’agit-il exactement ? Zythos  vient du grec ancien et signifie bière. Associé à logos, il donne zythologie,  néologisme répandue en Belgique, un peu moins en France, qui signifie donc science qui tourne autour de la bière, sa fabrication et plus agréable encore sa dégustation. On peut y ajouter aussi l’histoire de ce breuvage souvent en compétition avec celui de Bacchus, le vin, auprès duquel la bière ferait pâle figure ou semblerait être le parent pauvre.  Que nenni ! L’histoire de la bière, c’est l’histoire de l’humanité. On a bu de la bière bien avant de savoir planter la vigne. Un exemple : le pain des origines est composé de céréales écrasées mélangées avec de l’eau. Cuisson rudimentaire ensuite de la pate obtenue.  Ces mêmes céréales « oubliées » dans l’eau germent et fermentent naturellement. Et nos Pierrafeux se disent que leur eau a pris un drôle de goût plutôt aigrelet... Alors, certes ce n’est pas encore de la bière mais plutôt que de peigner le mammouth,  les recherches vont se poursuivre…   

Plus sérieusement, des grains transformés en vue de fabriquer de la bière et datant de 8000 ans avant JC ont été retrouvés au moyen Orient. Enfin toujours en comparaison avec le vin et nous nous arrêterons là, pourrait-on affirmer qu’il y a autant de types de vin que de sortes de bière ? La question reste posée. La France, premier producteur européen d’eau minérale est lanterne rouge pour la consommation de la bière. Nous occupons le 25ème rang – le dernier –du classement européen. Nous buvons en moyenne 33 litres de bière par an et par habitant, deux fois moins que les Polonais (environ 69 litres), trois fois moins que les Anglais (99 litres). Les Belges consomment environ 93 litres par an. Loin devant avec près de 116 litres, l’Allemagne.  Prosit ! (Traduction du Latin : Que ceci te soit bénéfique) Mais la palmed’or revient à la République Tchèque avec ses 157 litres de bière par an et par habitant. Alors là, je dis : Respect !

A propos de la bière, comment ne pas évoquer  Gambrinus qui, lui, sans être un Dieu romain issue …de la mythologie grecque (Dyonisos)à l’image de Bacchus, reste un personnage savoureux, bon vivant, auquel il est plus simple de s’identifier car derrière la légende de Gambrinus pourrait bien se cacher un duc de Brabant ou de Bourgogne, homme de chair et d’os, épicurien, noceur et pauvre pêcheur. La Flandre française a reconnu Gambrinus quasiment comme l’un de ses saints patrons, c’est dire, et n’hésite pas à faire trottiner son géant de toile et d’osier sur le pavé carnavalesque de quelques communes où la nuit venue des ombres vacillantes se plantent parfois le nez au ciel en se mouchant dans les étoiles et…  Mais revenons plutôt à Leuven. 

Hotel de ville de Leuven

Leuven ou Louvain, en Belgique, si c’est un peu la même chose pour nous, ça l’est moins pour nos voisins d’outre-Quiévrain mais c’est ainsi. D’abord en parlant de Louvain, on pourrait confondre avec Louvain-la-Neuve, située dans le Brabant Wallon. Il est donc préférable, ici,  de parler de Leuven, ville importante, essentielle, capitale  du Vlaams-Brabant, le Brabant flamand. Leuven est célèbre pour son université catholique fondée en 1425 par le Français Jean de Bourgogne (Jean IV Duc de Brabant). Parmi ses étudiants, un futur pape Adrien VI en 1522-1523 qui mourut dans l’indifférence générale à Rome après un bref pontificat en regrettant le bon vieux temps de sa jeunesse à Louvain. Aujourd’hui encore, si la cité est admirable par son architecture et son histoire, elle vit au rythme d’une jeunesse estudiantine qui a su lui transmettre toute sa fraicheur et son allant. Ville moyenne en termes de population, on y trouverait – dit-on – autant d’étudiants que d’habitants. C’est la ville natale entre autres de la chanteuse Selah Sue. 

Si vous aimez Bruges ou Gand et le charme de ces cités qui ont su s’ouvrir aux visiteurs tout en se préservant  d’un tourisme de masse, alors il ne fait aucun doute que Leuven ne vous laissera pas indifférent et ce quelque soit la saison. Côté pratique, il est très simple de se rendre à Leuven. La ville est située au cœur de la Belgique. En train, Leuven est à 20 minutes de Bruxelles, à 45 minutes d'Anvers, à 50 minutes de Liège, à une heure 30 de la Côte belge. Rappelons que le Thalys met Bruxelles à environ 1 heure 30 de Paris. La ville universitaire se trouve en outre à 15 minutes en train de Brussels Airport. Sur le réseau routier, Leuven est située à la jonction de deux importantes autoroutes : E40 et E314. En ville, taxis et bus urbains vous conduisent rapidement partout.
Enfin, c’est à Leuven que se sont développées au fil du temps les installations imposantes, brasseries, conditionnement, stockage et expédition, d’un véritable empire industriel qui coiffe toute la partie nord-est de la ville. Cet empire a un nom qui a fait le tour du monde et tient en deux mots synonymes de blondeur et d’amertume d’une grande bière : Stella Artois.

A Leuven, les brasseurs préfèrent les blondes plutôt pétillantes

Leuven est le berceau de la Stella Artois mais c’est un berceau de taille qui occupe un large périmètre. Partout, encore et toujours ,  sont affichées à l’envi et en toutes tailles, les deux mots de la marque, lettres blanches sur un cartouche rouge, comme un blason qui comporte une autre mention : anno 1366.  C’est donc une très longue histoire où la ville et sa brasserie, première industrie, se fondent et se confondent.  Remontons le temps comme remontent à la surface ces fines bulles qui étanchent notre soif d’en savoir un peu plus.
Petite rue menant à la Brasserie Domus
1926 marque l’année de naissance de la Stella Artois telle que nous la connaissons. A l’origine, il s’agit d’une bière de Noël. Dans le ciel de la nativité brille l’étoile qui tel un talisman céleste a guidé les rois mages. Stella sera donc la traduction de toutes les qualités de cette étoile : brillance, scintillement et transparence. Dans le monde de la publicité des années vingt, on emploiera parfois aussi le mot de cristal pour qualifier la transparence d’une bière voire même au Royaume Uni, le mot de diamond. Artois, c’est naturellement le nom de famille de Sébastien Artois mais pour bien comprendre l’histoire, revenons au blason de la marque. Au dessus de la mention : « anno 1366 » figure une sorte de trompe. Il s’agit en fait d’un cornet dont la traduction en néerlandais donne « Den Hoorn ». 


Brasserie historique, berceau en 1926 de la Stella Artois
Dès 1366, les registres communaux de Leuven font état d’accises, cet impôt féodal indirect levé sur la production de la brasserie den hoorn. Cette brasserie est en fait un ancien relai de messagerie, la Poste du temps jadis,  et les cochets utilisaient ce cornet pour avertir de leur passage. On ignore s’ils sonnaient toujours trois fois ? Si vous êtes philatéliste ou si vous observez les boites aux lettres de nos voisins belges, vous constaterez que cette trompe Den Hoorn figure toujours dans l’imagerie de la Poste belge. C’est un peu son logo. C’est dans cette brasserie que, trois siècles et demi plus tard, le 13 juin 1708, Sébastien Artois  deviendra  maître brasseur et finalement un peu moins de dix ans plus tard maitre des lieux. Les installations Stella Artois que l’on traverse en autocar car les distances sont grandes peuvent être visitées. La brasserie où la Stella Artois a vu le jour en 1926 existe toujours bien que désaffectée mais les immenses cuves de brassage en cuivre sont toujours là, témoins désormais silencieux de ces années folles où la bière coulait à flot sauf aux Etats-Unis où sévissait alors et jusqu’en 1933, la prohibition.

L’appellation Interbrew née à la fin des années 80 résulte de la fusion des marques Artois et Piedboeuf qui brasse notamment la Jupiler, respectivement second et premier dans le domaine brassicole belge. A cette époque, les deux sociétés ont déjà absorbé plusieurs brasseries, en Belgique. La Leffe dès 1952 par Artois mais aussi des brasseries hollandaises et françaises comme l’Armentiéroise Motte-Cordonnier dans les années soixante-dix. Les Brasseries Bass et Lamot passent sous le contrôle de Piedboeuf. Sous l’impulsion d’Interbrew d’autres acquisitions suivront : Belle-Vue, Hoegardeen. Interbrew a très soif certes mais il observe également le monde. Nouvelle étape en mars 2004 qui voit la fusion d’Interbrew avec le géant brésilien, Companhia de Bebidas das Americas. L’ensemble formé, Inbev, devient alors le premier groupe mondial. Quatre ans plus tard, nouvelle turbulence dans une chope, Anheuser Bush est racheté par le groupe belgo-brésilien pour la modeste somme de 52 milliards de dollars mais au fond, quand on aime, on ne compte pas. 
Pour l’anecdote,  Anheuser Busch, c’est l’américain aux quarante variétés de bière (Budweiser et Busch, par exemple) et autres liqueurs de malt. Anheuser Busch, c’est une légende qui voit le jour à Saint-Louis dans le Missouri. Une brasserie en faillite reprise par un immigré allemand petit fabricant de savons. La guerre de sécession est la toile de fond. L’allemand va croire au progrès, la réfrigération, la pasteurisation de la bière et son embouteillage intensif de sorte que sa bière soit disponible partout, de la côte est à la côte ouest, de New York à San Francisco.  

Ainsi va la mondialisation de notre planète et nous sommes bien loin de Leuven et de son maître brasseur Sébastien Artois dont le portrait présente quelques ressemblances avec Jean Sébastien Bach. Notre blonde pétillante n’en finit pas d’aiguiser tous les appétits. Jusqu’où tout cela ira-t-il ? Avec l’émergence des pays tiers, les grandes manœuvres ne font que commencer.

Et demain ? 

Il est un peu tard pour craindre une mondialisation des marchés et notamment celui de la bière. Ira-t-on vers une concentration des marques toujours plus tendue dont la finalité serait un produit manufacturé et standard à peine différent de son hypothétique concurrent ? Assistera-t-on à cette bataille où le consommateur américain a le choix entre deux Cola, le P… et le C… ?
Sans exclure tous les risques, on peut faire preuve d’optimisme. La bière en Belgique mais aussi dans d’autres pays européens, ce n’est pas qu’une question de production en millions d’hectolitres, ni une question de marketing agressif. La bière est profondément enracinée dans la culture belge et c’est vrai dans tous les pans de la société. A Leuven, quand le vent souffle dans une certaine direction, une odeur presque suave vous titille gentiment les narines, c’est une odeur de bière en cours de fabrication et qui émane des brasseries de la ville. Pour les habitants de Leuven, il est difficile de faire l’impasse sur la bière car cela fait des siècles qu’ils baignent dedans, si j’ose dire.


La Brasserie Domus
 Et toujours en ville, leur décor, leur cadre de vie a toujours été jonché d’estaminets et de brasserie. Des lieux conviviaux où les jeunes refont le monde et où les anciens, eux, se souviennent de ce temps où Bruxelles brusselait. Une brasserie, ici, ce n’est pas comme à Paris. Ce n’est une sorte de bistro amélioré qui rêve de devenir un restaurant et qui pour l’instant se limite à l’œuf mayo, au steak frites, un café et l’addition. Une brasserie belge, c’est un endroit chaleureux, apaisé, épargné. On y retrouve les personnages de Brueghel ou de Magritte. Il y a même le capitaine Haddock accoudé au Bar qui a troqué son verre de Whisky pour une Domus tandis que Simenon rallume sa pipe. La brasserie Domus est une petite brasserie du centre ville, nichée au fond d’une rue pavée et donnant sur la Tiensestraat, vous ne pouvez pas la manquer. Ici, la bière est faite maison et vous pourrez visiter les installations. Du producteur au consommateur, on ne peut pas faire plus direct.
La Brasserie Nieuwhuys de Hoegaarden
En sortant de Leuven, vous ferez d’autres découvertes. Par exemple à Hoegaarden, la brasserie Nieuwhuys où la bière est également faite maison mais les jeunes patrons ont bien d’autres idées, la distillation artisanale du Genièvre par exemple ou d’autres alcools de grains et pourquoi pas du Gin ?
Le retour à la nature et à une certaine authenticité remettent au premier plan nos traditions populaires et la mondialisation ne fera que précipiter plus encore ce mouvement. On l’observe chaque jour un peu plus avec l’émergence du bio en particulier.  Aujourd’hui, on peut refaire chez soi de la bière comme cette bière de ménage qu’élaboraient nos grands parents à la campagne. Cela n’est pas bien compliqué, mais c’est furieusement tendance. Entrez sur Google : Faire sa bière. Les résultats vous surprendront.

La brasserie De Kroon, située dans une commune rurale entre Leuven et Overijse présente un projet exceptionnel qui se concrétisera dans les toutes prochaines semaines. L’endroit est encore en chantier mais les travaux avancent rapidement. Il s’agit de faire de cette ancienne brasserie familiale fondée à la fin du XIX° siècle, un lieu unique alliant la science, l’art du brassage, la gastronomie et le tourisme. L’accent sera mis sur les bières spéciales.
Principal animateur du lieu, le professeur Freddy Delvaux, titulaire d’un doctorat en sciences agricoles et biologiques appliquées à l’Université Catholique de Leuven. En 1991, l’université avait demandé au professeur Delvaux de démarrer un laboratoire de Maltage et de Brassage. En effet, il n’y avait plus d’école universitaire de brassage depuis la scission linguistique de l’université en 1970. Cette formation connaîtra un succès sans précédent. Et depuis, la relève est assurée au delà de toutes espérances. Les étudiants n’hésitent pas un instant à se diriger vers la science de ce noble breuvage qui n’a pas fini de nous livrer tous ses secrets.
Les cuves de brassage actuelles de Stella Artois
L’art de servir une bonne Stella Artois 

Nous voici au terme de notre parcours belge mais avant de nous quitter, trinquons ! Servir une bière, c’est un peu comme servir un bon vin. Cela ne se fait pas à la va-vite, n’importe comment. Il y a l’art et la manière et vous l’allez voir, il n’est pas inutile de détailler ce rituel que nous a enseigné avec beaucoup de patience et de gentillesse Allaine Shaiko, champion du monde 2012, des tireurs de bière à la pression. Pas facile de trouver une traduction de World Draught Masters. L’opération se déroule en neuf étapes et concerne ici le tirage d’une bière à la pression. Le service à partir d’une bière en bouteille doit légèrement différer.
Allaine Shaiko, World Draught Master 2012
1-   La purification : La Stella Artois se sert dans une sorte de calice étroit en verre de 25 cl ou plus, d’une hauteur totale de 18 cm avec le pied. Non seulement, il faut que ce verre soit rigoureusement propre mais il faut le rincer longuement à l’eau froide afin qu’il prenne la température de la bière.  Bras tendu, on examine ensuite à la lumière la propreté du verre.
2-   Le sacrifice : le barman ouvre la pompe d’un geste prompt et laisse s’écouler la première mousse qui ne doit pas toucher le verre car la moindre goutte de Stella Artois doit venir en direct du tonneau et être parfaitement fraiche.
3-   Prémices de l’Alchimie liquide : le verre ou calice doit être maintenu à un angle de 45° Ainsi lorsque la bière touche et commence à tourbillonner sur ses bords, on obtient la quantité de mousse adéquate.
4-   Le col : on façonnera le col en redressant le verre et en le faisant redescendre. La mousse est capitale. Grace à elle, la bière n’entre pas en contact avec l’air et conserve tout son goût.
5-   Le retrait : le barman referme la pompe d’un geste décidé en retirant rapidement le verre. Ainsi aucune goutte ne s’ajoutera au contenu. En effet, ces gouttes s’oxydant au contact de l’air n’ont pas leur place dans un verre de Stella Artois.
6-   La décapitation : Le barman fera disparaître la couche de mousse dépassant du verre à l’aide d’un outil adéquat – couteau de mousse– maintenu à 45°. Ce geste a pour effet d’éliminer les plus grosses bulles qui accélèrent la disparition du col.
7-   Le jugement : le barman n’oubliera jamais qu’un bon col mesure environ deux doigts (3 cm d’épaisseur). Ce col agit comme un « bouchon » qui empêche les bulles d’acide carbonique de s’échapper.
8-   La dernière ablution : Avant de servir, le barman rince le pied et les cotés du verre, de sorte que l’extérieur du calice soit propre et agréable à tenir en main.
9-   L’Offrande : Enfin, la Stella Artois sera servie sur un sous-bock, le logo du calice orienté vers l’heureux dégustateur. Telle est l’icône d’un verre parfait de Stella Artois.
La Stella Artois est une pils de grande qualité, au goût plein, et qui comble l’amateur de son amertume rafraichissante dès la première gorgée. Elle titre en alcool :  5.2 % Vol. Notez enfin que la décapitation se nomme également le découronnement. Contrairement à ce que l’on voit souvent faire, on ne doit décapiter la mousse qu’une seule fois en un mouvement lent mais régulier.  J’ignore si ces deux termes ont un rapport avec notre Révolution française dans un pays qui a su conserver un roi et une reine.  Ce que je sais, par contre, c’est que nous avons été une trentaine de journalistes à essayer, l’un derrière l’autre, de servir une bière dans les règles de l’art en respectant les neuf étapes sous le regard amusé mais bienveillant de Allaine Shaiko, World Draught Masters 2012. La moralité de l’histoire, c’est qu’il est tout de même plus simple de déguster une bonne bière que de la servir... 


Gérard Conreur

Aller plus loin :

Les recettes en dessins, saveurs anciennes & actuelles

Pour pratiquer la cuisine, il vaut mieux en connaître un rayon et la meilleure façon d’y parvenir, c’est  de farfouiller d’abord dans les rayons de nos librairies et  au chapitre, naturellement, des livres de cuisine. Outre les recettes, tout est fait pour nous aider, nous prendre par la main et nous guider pour atteindre le septième ciel, le Nirvana de nos papilles...

Ainsi au fil des ouvrages variés, on apprendra à distinguer une viande avariée alors que les plats divers nous permettront de patienter jusqu’aux beaux jours…  Conseil pour choisir un poisson bien frais : le regard consterné du thon sur son lit de glace nous donne parfois le ton et nous glace. En feuilletant le domaine des pâtes, on verra que souvent par sa technicité une pate feuilletée brise notre patience tandis qu’une pate sablée n’évoque pas toujours le temps des vacances pas plus que des blancs en neige ne nous conduisent vers les sommets ni ne nous invitent à pratiquer le hors piste en direction d’une forêt noire. Une poignée de vermicelles ou d’alphabet permet aux enfants de grandir en avalant leur soupe bien plus sûrement qu’en jouant sur une de ces consoles qui nous désolent. Bref rien n’est plus nourrissant qu’un bon livre de cuisine, véritable millefeuille d’idées, de saveurs et de bonheur.

Recette de la poule au pot en dessins
Ajouter une légende
Exemple, ce titre disponible en librairie dès le 28 mars : Les recettes en dessins, saveurs anciennes & actuelles que publie Darfeuille aux Editions Sully.  L’auteur est à la fois peintre et passionné de cuisine pour notre plus grand bonheur car la pratique de ces deux arts n’est pas incompatible, elle est complémentaire. De plus, entre le thym et le laurier, il cultive un humour qui se fait rare dans nos contrées et il nous explique ainsi l’idée de son livre : « Les recettes que je vous présente, je les ai d’abord faites pour moi, comme pense-bête : un petit dessin va plus vite qu’un long texte ou qu’une grande liste de courses ». Et de poursuivre : « Ensuite j’ai eu l’idée de les fignoler pour ma fille, Myrtille, qui me demande toujours des conseils et j’ai alors réalisé qu’elles pouvaient être utiles au plus grand nombre ». Ite missa est. Tout est dit ou plutôt tout est écrit par ce père attentif et généreux partageur. Et comme pour une recette excellente, il est inutile d’en rajouter, y mettre son grain de sel gâterait la sauce.

L’ouvrage s’articule en cinq axes : Entrées-salades en petits plats, Crustacés-Poissons, Volailles et viandes & quelques accompagnements, Les œufs, Les Desserts et pour finir de nombreux P’tits Trucs. Au total une centaine de recettes de niveau  simple, facile, moyen, repas de fête.

L'un des P'tits trucs qui simplifient la vie
Si j’aime jouer avec les mots, je serais bien incapable d’éplucher une pomme de terre sans un économe ou de faire valser quelques légumes au fond d’un woke mais en dévorant ce livre, j’ai ressenti comme une furieuse envie de lâcher mon clavier pour foncer aux fourneaux.

Après tout, ce n’est pas si souvent qu’un bouquin de cuisine me fait fondre…

Gérard Conreur

Les recettes en dessins, saveurs anciennes & actuelles, Editions Sully Saveurs, 126 pages,  19€