mercredi 3 décembre 2014

La gourmandise est un vilain défaut. Enfin, il y a pire...



Alors que Noël approche à grands pas feutrés dans le neige qui n'en retient que le bruissement, comment résister à la lecture de ce conte de Noël, Les trois messes basses qu'Alphonse Daudet publia d'abord dans les Contes du lundi puis dans les Lettres de mon moulin en 1879 ?


Le péché de gourmandise frappe ici le prêtre, Dom Balaguère, qui va être tenté par son petit clerc, Garrigou, possédé par le diable, et muni de sa diabolique clochette de liquider trois messes basses en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Mais le brave curé va-t-il trouver le paradis qu'il imagine à la table des agapes lorsque les messes auront été dites sinon rapidement expédiées ?

Marcel Pagnol réalisa une adaptation des
plus fidèles des Lettres de mon moulin en 1954 et en 2008 Jacques Santamaria prit le relai pour les Contes et nouvelles du XIX° siècle confiant à Patrick Bosso le rôle de Dom Balaguère pour Les trois messes basses. Preuve qu'à son tour, la télévision peut se montrer gourmande face à de si jolis textes aux saveurs toutes provençales...

 
Petit extrait en forme de mise en bouche :

Alors que Dom Balaguère aidé de Garrigou revêt dans la sacristie les ornements du culte, il ne songe en réalité qu'au repas qui suivra les trois messes basses :
— Deux dindes truffées, Garrigou ?…
— Oui, mon révérend, deux dindes magnifiques bourrées de truffes. J’en sais quelque chose, puisque c’est moi qui ai aidé à les remplir. On aurait dit que leur peau allait craquer en rôtissant, tellement elle était tendue…
— Jésus-Maria ! moi qui aime tant les truffes !… Donne-moi vite mon surplis, Garrigou… Et avec les dindes, qu’est-ce que tu as encore aperçu à la cuisine ?…
— Oh ! toutes sortes de bonnes choses… Depuis midi nous n’avons fait que plumer des faisans, des huppes, des gelinottes, des coqs de bruyère. La plume en volait partout… Puis de l’étang on a apporté des anguilles, des carpes dorées, des truites, des…
— Grosses comment, les truites, Garrigou ?
— Grosses comme ça, mon révérend… Énormes !…
— Oh ! Dieu ! il me semble que je les vois… As-tu mis le vin dans les burettes ?
— Oui, mon révérend, j’ai mis le vin dans les burettes… Mais dame ! il ne vaut pas celui que vous boirez tout à l’heure en sortant de la messe de minuit. Si vous voyiez cela dans la salle à manger du château, toutes ces carafes qui flambent pleines de vins de toutes les couleurs… Et la vaisselle d’argent, les surtouts ciselés, les fleurs, les candélabres !… Jamais il ne se sera vu un réveillon pareil. Monsieur le marquis a invité tous les seigneurs du voisinage. Vous serez au moins quarante à table, sans compter le bailli ni le tabellion… Ah ! vous êtes bien heureux d’en être, mon révérend !… Rien que d’avoir flairé ces belles dindes, l’odeur des truffes me suit partout… Meuh !…
— Allons, allons, mon enfant. Gardons-nous du péché de gourmandise, surtout la nuit de la Nativité… Va bien vite allumer les cierges et sonner le premier coup de la messe ; car voilà que minuit est proche, et il ne faut pas nous mettre en retard…
Cette conversation se tenait une nuit de Noël de l’an de grâce mil six cent et tant, entre le révérend dom Balaguère, ancien prieur des Barnabites, présentement chapelain gagé des sires de Trinquelage, et son petit clerc Garrigou, ou du moins ce qu’il croyait être le petit clerc Garrigou, car vous saurez que le diable, ce soir-là, avait pris la face ronde et les traits indécis du jeune sacristain pour mieux induire le révérend père en tentation et lui faire commettre un épouvantable péché de gourmandise. Donc, pendant que le soi-disant Garrigou (hum ! hum !) faisait à tour de bras carillonner les cloches de la chapelle seigneuriale, le révérend achevait de revêtir sa chasuble dans la petite sacristie du château ; et, l’esprit déjà troublé par toutes ces descriptions gastronomiques, il se répétait à lui-même en s’habillant :
— Des dindes rôties… des carpes dorées… des truites grosses comme ça !…



Gérard Conreur




Images extraites du film de Marcel Pagnol Les lettres de mon moulin (1954) avec Henri Vilbert (Dom Balaguère) et Marcel Daxely (Garrigou/Le Diable).
 

Clémentine de Corse : C'est le (très bon) moment !



L'hiver est la saison bénie des agrumes. Après la Toussaint, les premiers frimas voient apparaitre, par bonheur ou par magie, sur les étals de nos marchés, ces boules de Noël végétales dont les écorces, du jaune pale à l'orange chaleureux en passant par le carmin des sanguines, brisent la grisaille de jours trop courts à la végétation moribonde. Ces agrumes au zeste parfumé sont de véritables trésors de santé et de fraicheur qui n'ont rien à envier aux mets raffinés qui seront bientôt les vedettes de nos tables de fêtes. Mieux, le canard adore l'orange et la noix de Saint-Jacques s'accommode à ravir d'un filet de jus de mandarine et d'une très fine julienne de son zeste.  Parmi ces agrumes qui vont du Kumquat, "orange d'or" en cantonais à la main de Bouddha à l'extraordinaire saveur aromatique recherchée en pâtisserie, la clémentine de Corse que nous sommes allés cueillir pour vous au sud de Bastia, en Haute-Corse, dite aussi Corse orientale.

La clémentine prête à cueillir - Photo : Gérard Conreur ©
La clémentine prête à cueillir
Hâtez-vous, braves gens, la clémentine de Corse n'attendra pas votre bon vouloir bien longtemps, c'est durant deux mois, et durant deux mois seulement, novembre et décembre, que vous pourrez profiter de ce fruit généreux à la saveur si délicate qui se déguste à toute heure de la journée. Le matin il tonifie les petits déjeuners. A midi, il ouvre l'appétit. L'après-midi, il brisera net le  grignotage insidieux. Toujours, il délivrera ses vitamines A et C, potassium et acide folique.

Deux petits fruits suffisent à couvrir la moitié des besoins quotidiens en vitamine C. Et chaque clémentine ne "pèse" qu'un peu moins de 25 kcalories. N'hésitez pas à en glisser quelques unes dans le cartable de vos enfants pour l'heure de la récré.  La clémentine s'épluche facilement et en prime parfume les doigts. Dans les souvenirs scolaires de mon enfance, il y a toujours ce gamin qui déposait quelques écorces d'agrumes sur la plaque brulante du vieux calorifère qui trônait au beau milieu de la classe sans se douter un instant qu'un demi siècle plus tard, il ferait sa page d'écriture sur les senteurs subtiles après l'orage qui baignent les vergers de Corse. Même parfum éphémère de l'écorce qui se tord et supplantait pour un instant celui de l'encaustique de nos pupitres d'école.

Précision : la clémentine de Corse est la seule clémentine produite en France. Elle est facilement reconnaissable à ses feuilles très fines et longues qui l'accompagnent mais aussi et surtout par son célèbre "cul vert"  qui atteste d'une maturation naturelle sur l'arbre et non en chambre froide. Ce "cul vert" peut représenter jusqu'au cinquième de la surface de l'épiderme du fruit. Enfin elle est dépourvue de pépins. Attention cependant : toutes les clémentines que l'on trouve sur nos marchés ne viennent pas de Corse même si elles sont accompagnées de quelques feuilles vertes. Et donc et comme toujours il vaut mieux lire les étiquettes. Ce qui plaide en faveur de la clémentine de Corse par rapport à ses concurrentes, c'est sans doute aussi  une culture plus respectueuse de l'environnement. Faut-il rappeler que la Corse est une île et que la culture des agrumes se trouve donc relativement épargnée par les maladies comparativement aux autres régions agrumicoles.

A coeur du verger de Santa-Lucia-di-Moriani - Ph Gérard Conreur ©
Au coeur du verger de Santa-Lucia-di-Moriani, Haute Corse

 Côté chiffres :  la Corse produit 17 à 20 000 tonnes de clémentines chaque année, soit 8% de la consommation française. C'est la deuxième activité agricole de l'ile après l'activité viticole. 90% de la production est  sous IGP (Indication Géographique Protégée) depuis 2007 et très récemment, c'était en octobre 2014, un cinquième de la production arbore désormais le renommé Label Rouge français qui signe des produits aux qualités gustatives exceptionnelles. L'an dernier, la consommation de clémentines (toutes origines confondues) s'est élevée à 8 kilos par ménage français. Alors après tant de bonnes raisons, faut-il hésiter un instant à en consommer davantage ?

Mais au fait, d'où vient la clémentine ? Réponse : de l'autre côté de la Méditerranée et c'est un hybride naturel. Elle serait apparue il y a un siècle environ dans la plantation d'un orphelinat de Misserghin près d'Oran en Algérie. C'est le frère Clément qui dirigeait les cultures de l'orphelinat qui découvrit un arbre différent des autres dans la plantation des mandariniers de semis (non greffés).  Arbre qui donna des fruits plus précoces, plus sucrés et plus acidulés avec une écorce très fine dont les enfants de l'orphelinat raffolèrent. En 1902, une première étude est publiée par la société horticole d'Alger mais il faudra attendre un siècle plus tard, en 2002, pour que le patrimoine génétique de la clémentine soit établi par les chercheurs du centre INRA de Corse : il s'agit d'un croisement naturel entre la mandarine commune et une orange douce. Le premier clémentinier est introduit en Corse en 1925 et quatre ans plus tard, en 1929, on se souviendra du frère Clément en donnant le nom de Clémentine à ce fruit juteux et sans pépin que nous apprécions tant aujourd'hui. 

En 1964 après l'indépendance de l'Algérie, la clémentine sera développée plus massivement en Corse comme nous le rappelle au beau milieu de son verger des environs de Santa-Lucia-di-Moriani, en Haute Corse, Jean-Paul Mancel, président de l'Aprodec, l'Association de promotion et de défense de la clémentine de Corse.

Bientôt sur votre table - Photo Gérard Conreur ©
Bientôt sur votre table
 A peine récoltée, à la main et en ménageant deux petites feuilles, la clémentine sera dirigée vers la station de conditionnement où chaque lot sera identifié précisément. La traçabilité est essentielle.  La station de conditionnement qui nous reçoit est celle de Jean-André Cardosi, également producteur. Elle est située route de Linguizetta, à Linguizetta. Les fruits seront d'abord triés à l'oeil et à la main puis calibrés et enfin conditionnés avant de prendre le chemin de la distribution.  Seuls les fruits de bel aspect et sans défaut feront ce dernier voyage en direction de vos papilles...

Gérard Conreur

vendredi 26 septembre 2014

Dînette gourmande et cuisine créative...



Les éditions de saxe publient deux nouveautés dans une collection intitulée apéro du chef. Deux jolis titres gourmands sur lesquels les papilles s'attarderont en rêvassant, mais aussi le regard tant les photographies de Fred Durantet vous mettent l'appétit en accroche cœur.   


Pour le premier, il s'agit de Ma cuisine créative du chef Philippe Gauvreau qui pratique une cuisine moderne, raffinée et recherchée, alliance du traditionnel et du contemporain par excellence. De sa brasserie lumineuse et design, située au cœur de l'ouest lyonnais, il dévoile ses secrets de chef à travers 30 recettes faciles, salées et sucrées, créatives et inédites pour satisfaire tous les gourmets. Des points clés figurent en bonne place en complément de la progression de la recette toujours abondamment illustrée. Comme on pourrait le dire aisément : cela donne envie non seulement de déguster mais avant cela de s'y mettre avec ardeur car telle est bien la vocation de cette collection. 


Mille Feuilles caramélisés à la crême Carambar



L'oncle de Philippe Gauvreau était pâtissier-traiteur à Rambouillet : "Pâtisserie Francis". Enfant, il aimait travailler à ses côtés. L'ambiance qui régnait en ce lieu lui plaisait et l'attirait énormément. Il faut être entré dans le laboratoire ou l'atelier d'un pâtissier où s'exhalent mille saveurs ou mille couleurs pour le comprendre. Bien conseillés, des parents décident de l'orienter vers une formation de cuisinier en apprentissage. Philippe Gauvreau garde de très bons souvenirs de cette époque durant laquelle il a découvert sa passion pour la cuisine. Après Le Quai des Ormes et le Grand Véfour à Paris, la Bonne Auberge à Antibes et le Malliouhana Hôtel à Anguilla aux Antilles, Philippe Gauvreau oeuvre au Négresco à Nice.

 
Avec Ma dînette gourmande, le chef étoilé, Pierre Orsi, Meilleur Ouvrier de France, pilier de la gastronomie française, nous dévoile depuis sa demeure bourgeoise, Place Kléber dans le magnifique quartier du 6ème arrondissement de Lyon, ses meilleurs amuse-bouche en 27 recettes pas à pas, simples et faciles, toujours accompagnées comme l'ouvrage de Philippe Gauvreau des photographies savoureusement belles de Fred Durantet. Pierre Orsi consacre sa vie à la restauration depuis 1954. De Poleymieux-au-Mont-d'Or à Osaka au Japon, en passant par l'auberge du Pont de Paul Bocuse ou encore Londres, Chicago ou Los Angeles, Pierre Orsi a toujours su émerveiller les fins gastronomes.
Oeufs de caille en piperade





Ces deux titres de la collection Apéro de Chef sont publiés aux Editions de Saxe. Couverture cartonnée molletonnée, format 19x24,5 cm. Prix : 14,90 €


Gérard Conreur