dimanche 18 novembre 2012

Salon des Coqs d'Or 2012

Il était en ce weekend froid et gris de novembre à Paris, boulevard Saint-Jacques et sans coquille, un dernier salon où l’on cause mais pas seulement. Un dernier salon plein de couleurs, de saveurs, le salon des Coqs d’Or 2012. Un salon où l’on cause parfois la bouche pleine, ce qui ne se fait pas, sauf si c’est pour la bonne cause, la cause du bien manger, du bien vivre… Bref, la cause de ces petites enluminures du quotidien de l’existence, ces petits riens qui font tout, ces détails qui font que, finalement, notre espèce est assez différente de celle de ces chrysanthèmes de cimetière qui n’attendent qu’une gelée hivernale de Toussaint pour rejoindre un monde meilleur en espérant se réincarner, peut être, en orchidée tropicale ou en gousse de vanille des iles ?

Elisabeth de Meurville
Elisabeth de Meurville
Le salon des coqs d’or, c’est très compliqué parce qu’on ne sait par où commencer. Il n’est pas sûr qu’il s’agisse d’un handicap, ni qu’il faille commencer quelque part. C’est juste une sorte d’anarchie, une façon comme une autre de ne pas vouloir traverser dans les clous, pour une fois. Alors, on va par ci, par là, d’abord hésitant mais bientôt  guidé, magnétisé, hypnotisé par un déluge de visions rassurantes qui nous rappellent d’instinct que tout est bon dans le cochon ou que le vin est parfois le sang du christ, que l’on imagine de surcroit en petite culotte de velours, ce qui n’est pas très catholique. 

Sur la pointe des pieds sur le tabouret de la cuisine et le doigt tendu vers le bocal de confiture dans le haut du placard, ca ne vous dit rien ? Des denrées odorantes, suaves et douces qui vous appellent telles les sirènes d’Ulysse. Nous sommes comme envoutés  par ce spectacle de l’inédit, cette corne d’abondance en trois dimensions.  Imaginez d’un coup, un marché de Provence qui prendrait des airs de Bretagne avec ses pains d’épices délicats et ses Kouign-Amann de Douarnenez, la hauteur verdoyante des Pyrénées, la douceur angevine, ces coins fastueux des Charentes où le Pineau d’exception toise les vieux Cognac, l’accent des Flandres, où  l’on ne mange pas que des frites, mêlé à celui du Pays-Basque, andouillette de Cambrai en duel contre un jambon ibaïona, chorizo et andouille. 

Et puis, comme si la France était bien trop petite, l’huile d’olive des Pouilles se boit à la cuiller, jambon ibérique et légumes de Navarre avant que le sombre et  rare nectar d’un café d’Ethiopie nous emmène sous les cieux du royaume de Saba.

  Voila donc ce qu’il fallait retenir de ce Salon des Coqs d’Or et déjà  (et oui d’ores et déjà) , je m’en veux d’avoir laissé dans l’ombre les miels de bruyère et de tilleul, confitures de fruits rouges ou d’agrume, foies gras d’Alsace, sardines en conserve, pains, échalotes, oignons, aulx et chocolats à se damner.  Et ce gâteau aux noix du Périgord qui me laisse sans mots. Et puis, et j’en termine ici : il faut se souvenir que dans artisan, il y a « art » et que ces artistes qui font salon ici même feront naître des petites puis moyennes entreprises dont il ne faut pas stupidement altérer la compétitivité. Enfin, dans le capharnaüm insolite de ce salon gourmand, il faut aller et venir sans cesse mais nul danger ici de glisser sur une tache d’huile de palme même si on dit que parfois cela porte la même chance que de marcher dans la….

Gérard Conreur

lundi 29 octobre 2012

De l'or rouge en Haute-Marne

On la connait en France depuis le XVI° siècle mais son histoire est bien plus ancienne et c’est sans nul doute l’épice qui depuis la nuit des temps a le plus fasciné l’humanité. Elle a suscité d’immenses convoitises. Les puissants en ont rêvé. Parée de toutes les vertus, sa valeur était inestimable. Elle a longtemps été plus onéreuse que l’or avant que le métal précieux n’atteigne, ces dernières années – crise oblige - les sommets que l’on sait mais reste aujourd’hui plus chère que le caviar. Cette épice de légende, c’est le safran, l’or rouge. Il existe des safranières dans notre pays et des hommes qui tels les orpailleurs de la ruée vers l’or tentent aujourd’hui encore cette aventure pas comme les autres. Guy Camus est l’un d’eux. 

Diane de Poitiers, qui avait vingt ans de plus que le roi Henri II, ingurgitait chaque jour une solution d’or persuadée par les alchimistes de pouvoir échapper ainsi aux outrages du temps et de préserver son teint diaphane. Elle rendit le dernier soupir à près de soixante six ans, ce qui n’était pas si mal sous la Renaissance. D’une chute de cheval ou les viscères tapissés du métal précieux, véritable poison en réalité ? L’énigme reste entière. 

Depuis plus de 3000 ans, le safran est lui aussi paré d’un grand nombre de vertus médicinales voire magiques. Macéré dans l’alcool avec cannelle, muscade, girofle et autre myrrhe popularisée par les rois mages, le safran donnait alors naissance à un élixir de jeunesse que n’aurait pas renié la belle Diane si à l’époque elle en avait eu connaissance. Une chose est sûre, la liqueur obtenue à consommer avec modération comme on le dit aujourd’hui ne l’aurait pas tuée sinon d’une cirrhose du foie...

Fleurs de Crocus Savitus
fleurs de crocus savitus


Le safran, depuis la plus haute antiquité occupait donc dans les remèdes princiers le rang d’épice des puissants de ce monde en raison de sa rareté. En Egypte, il possédait son hiéroglyphe mais on y fait allusion sous d’autres latitudes : Grèce, Perse, Chine, etc. Le safran, c’est l’extrémité du pistil du crocus sativus, un triple stigmate. On parle aussi de brins ou de filaments. La plante à floraison automnale n’existe pas à l’état natif, elle est le résultat d’une longue sélection en vue d’obtenir les stigmates les plus longs et les plus généreux. Ce qu’il restera de la fleur après l’émondage, l’ablation des stigmates qui se fait à la main, ne présente aucun intérêt. Le précieux crocus ne serait pas originaire des plateaux irano-afghan comme on l’a longtemps cru mais plutôt de Crête. Safran ou Safrarum, en latin, viendrait de l’arabe et désignerait la couleur jaune tandis que le persan associe or et plume (stigmate).
Contrairement à une idée reçue, le safran n’est pas une épice « exotique ». Des Etats-Unis à la Chine, sans oublier le Maghreb, le Moyen-Orient ou encore le continent indien, il est cultivé sur une large bande de notre planisphère. Seuls l’Amérique du Sud, l’Afrique sub-saharienne et, a contrario les latitudes trop nordiques sont peu propices à la croissance du crocus savitus. La production mondiale de safran est estimée à 300 tonnes. La France fut longtemps un pays producteur important notamment dans le Gâtinais et dans le Quercy mais sur le plan européen, elle a cédé la place à l’Espagne. Guy et Brigitte Camus, maraichers à Arc en Barrois, se sont lancés dans l’aventure du safran en 2009 et restent à ce jour les uniques producteurs de safran dans la Haute-Marne. Il s’agissait pour eux de diversifier leur activité initiale, de tester quelque chose de nouveau sans attendre, pour le moment du moins, que la précieuse épice ne mette beaucoup de …beurre dans les épinards.

Guy Camus
La safranière de la vallée de Aujon qui n’en est à ses débuts produit quelques centaines de grammes (entre 300 et 500 grammes) chaque année. Elle couvre environ 800 mètres carrés soit 30 000 bulbes plantés. La première année, les bulbes ne donnent qu’une fleur unique. Les années suivantes, plusieurs fleurs sont attendues. Les bulbes ont une durée de vie de 5 à 7 ans. Après floraison et récolte des fleurs, vient l’émondage afin de récupérer les précieux filaments qui seront disposés sur des tamis très fins avant de passer à l’étuvage. Une étape décisive et très délicate durant laquelle le stigmate va perdre 80% de son poids. Il faut 200 fleurs pour obtenir 1 gramme de safran sec.

Désormais vous savez tout ou presque sur cette épice royale. Et si le cœur vous en dit, plantez donc chez vous, dans une jardinière ou sur un coin de potager quelques bulbes de crocus savitus que l’on trouve dans quelques bonnes jardineries et prenez patience… vous obtiendrez quelques fleurs aux riches stigmates écarlates. Un pistil représente 3 brins (ou stigmates). Pour les sauces, il faut 1 à 2 pistils par personne et pour les desserts : 6 à 8 pistils par litre de lait. Un dernier conseil : à l’achat, préférez le safran sous forme de filaments au lieu de l’épice en poudre surtout s’il s’agit d’un « souvenir de vacances » car en raison du prix élevé du safran, le risque de tromperie existe. 

Gérard Conreur

Au pays de la truffe grise

Et si vous profitiez d’un week-end d’automne pour parfaire votre connaissance de la truffe ? Rien de plus simple et, qui plus est, pas très loin de chez vous, dans le pays de Chaumont en Champagne, une région au terroir riche et qui ne demande qu’à vous accueillir… Intéressé ? Alors, allons-y !


Chaumont en ChampagneL’homme est généreux, cheveux gris, regard droit, les deux pieds bien plantés dans l’humus odorant des sous-bois où craquent les brindilles sous un tapis moelleux de feuilles d’automne que l’on dit parfois emportées par le vent. Il aime ses deux labradors, sa terre de Haute Marne et « Plus belle la vie », cette soap télévisuelle interminable à la mode marseillaise qui ne vaudra jamais une véritable bouillabaisse mais comme il le dit lui-même : nul n’est parfait... Jean Genevois affiche la soixantaine sereine, le goût simple des petits bonheurs partagés. Il n’a pas l’accent de Pagnol mais celle d’un pays qu’aurait pu chanter Ferrat : « Pourtant, que la campagne est grise… ». Ce n’est pas un gros mot mais le coloris le plus seyant de l’automne. Grise au point de donner sa couleur à une pépite chaudement enfouie ; la Tuber Uncinatum, la truffe grise dite aussi de « Bourgogne et de Champagne » que l’on trouve avec plaisir à 250 kilomètres de Paris, autrement dit à un jet de pierre, sur un terrain plutôt calcaire. 

Le cavage en toute simplicité

Jean Genevois
L’idée de Jean Genevois est simple et résume toute sa passion pour la truffe. A la retraite depuis quelques années, après avoir été chef du restaurant de l’Hôtel Terminus Reine, situé juste en face de la Gare SNCF de Chaumont, Jean Genevois invite les passionnés du précieux champignon à le rejoindre en forêt pour un « cavage » en bonne et due forme. Le terme mérite qu’on s’y arrête. Il y a bon nombre d’endroits où l’on peut aller. Certains, par exemple, que la loi tolère mais que la morale réprouve. On peut aussi aller à la pêche ou la chasse et y perdre sa place. Chez le dentiste ou faire ses courses. On peut enfin aller aux champignons voire à la marotte à poires… Mais on ne va jamais aux truffes. Le cavage est le terme approprié à cette quête à la recherche du diamant gris. Et le terme de quête n’a rien d’excessif. Les forêts profondes constituaient l’habitat naturel des premiers hommes qui pour se nourrir pratiquaient la cueillette bien avant la chasse et la culture. Cueillette à hauteur d’homme mais aussi en grattant le sol à la recherche de racines diverses. En somme, le cavage évoque à s’y méprendre un irrésistible retour aux sources vers une terre nourricière toujours féconde depuis la nuit des temps et que nous ferions bien de respecter un peu plus.

En quelques heures d’une radieuse après midi d’automne, Dolly et Gourmande, les deux labradors de Jean Genevois ont déniché de quoi joliment garnir une besace. Rien n’échappe à leur flair. La truffe a besoin du chêne, du charme, du noisetier mais elle sait aussi se faire désirer selon les caprices du ciel. Laissons aux spécialistes les termes de mycorhization, symbiose et autres connaissances agronomiques complexes.

Deux ou trois choses que je sais d’elle…

Direction alors la cuisine et ses fourneaux car l’aventure se poursuit. Il faut en savoir plus sur la truffe grise, comment la toiletter, la conserver dans les meilleurs conditions, la préparer afin d’en faire le meilleur usage car cette perle sombre de Dame Nature est à la fois puissante mais aussi délicate. Pour la petite histoire, la truffe grise de Bourgogne fut la seule servie à la table des rois de France jusqu’à la Renaissance. On ne connaissait alors que deux truffes : la blanche d’Italie et la grise. Le rideau se lèvera ensuite sur la Tuber Melanosporum, truffe noire du Périgord que mettra à la mode un certain François 1er . Donc, cours de cuisine animé par Jean Genevois avec des recettes pratiques que chacun pourra mettre en œuvre et des conseils toujours utiles résolument « truffés » d’un humour bonhomme. 

Après l’effort, le réconfort

Jean Genevois aux fourneaux
Enfin le chapitre final a pour cadre la salle feutrée du restaurant de l’Hôtel Terminal Reine où chaque convive pourra déguster un ensemble de plats mettant en valeur la truffe grise et dont il a suivi l’élaboration en cuisine. Par exemple, le feuilleté de truffes au foie gras accompagné d’une sauce légère au Porto ou encore le soufflé aux truffes de Haute-Marne si délicieusement accompagné d’un verre à liqueur de Ratafia et si la dégustation a commencé avec une huitre chaude truffée, elle pourra se conclure avec bonheur et sur un goût de « revenez-y » autour d’une savoureuse glace aux …truffes naturellement. Le Langres frais coupé en tranches égales et abondamment truffé ravira avant cela les amateurs de fromages de région.
Soulfés aux truffes de Haute-MarneAjoutons à cette offre tri-play selon un vocable à la mode : 1-découverte enforêt, 2-préparation en cuisine et 3-dégustation gastronomique, une visite guidée de la ville Chaumont. Plus simplement, une formule week-end nature découverte – en saison bien sûr. La plus favorable étant d’octobre à décembre – au cœur même d’une région proche mais peut-être un peu méconnue malgré une étonnante diversité gastronomique et culturelle. Nous y reviendrons sans aucun doute.

Gérard Conreur

Restaurant de Hôtel Terminus Reine ***, place du général de Gaulle, 52000 Chaumont. Tel : 03 25 03 66 66. Le cavage en forêt ne présente aucune difficulté de marche, prévoir cependant des chaussures adaptées, genre baskets ou chaussures de randonnée ainsi que des vêtements chauds.